Mouais, toujours pas convaincu.
Ou plutôt : vous avez raison, mais ce que vous craignez, ça fait un petit bout de temps que ça dure, et ça n'est pas prêt de s'arrêter, c'est même approximativement quelque chose comme l'hIstOiRe dU mOnDe (oui j'ai osé). Mais même sans recourir à des concepts un peu gluants comme la sélection naturelle ou la loi du plus fort, blablabla, on peut quand même dire que:
1. les "Authentic Capverdian Music", ça existe depuis un paquet d'années. Je sais, je le faisais. Les musiciens qui viennent jouer dans les restaus ne le font pas par plaisir, mais parce qu'ils sont cachetonnés. Essayez de leur dire de se fatiguer à jouer gratuitement devant des touristes qui, dans le meilleur des cas, aiment ce qu'ils entendent, vous verrez qu'on est loin de la préservation du patrimoine culturel (maintenant, qu'ils aiment jouer dans certains endroits parce qu'ils y sont bien traités, et que du coup ils font nettement plus que le minimum syndical, c'est autre chose). Et ça ne les empêche évidemment pas, ni eux ni d'autres, de jouer chez eux, dans des fêtes privées, entre amis, pour se faire plaisir. Quand les commerçants portugais, industriels anglais ou marins scandinaves peuplaient Mindelo, les capverdiens continuaient à jouer de la morna.
2. Je pense bien, qu'on ne danse plus la bourrée en Auvergne (je le dis sans rien savoir, mais c'est pour l'exemple, il se peut TRES BIEN qu'on la danse encore, je vais me fâcher avec tous les amateurs de bourrée passant ici après une recherche sur Google). La bourrée, c'est une tradition, et celles qui ne sont plus en adéquation avec leur temps disparaissent. D'autres résistent, d'autres s'épanouissent. Je ne suis pas forcément un fanatique des traditions, surtout quand j'entends dire qu'il faut protéger la corrida au nom du respect des traditions. Il y en avait une qui voulait que l'homme traîne sa femme par les cheveux, on la garde aussi cette tradition, au nom du respect de blablabla?
3. Je le répète, ça n'est pas parce que les touristes enfermés au Riu écoutent de la musique sénégalaise (ou de la country, ou du jazz néo-zélandais) que les capverdiens se mettront tout d'un coup à écouter de la musique sénégalaise (ou de la country etc). C'est en ce sens que je ne vois pas bien le risque. Vous m'auriez dit : c'est dommage que les touristes ne connaissent pas la vraie culture capverdienne, là j'aurais dit oui (et encore, je dois avouer que je me soucie assez peu du bagage culturel des touristes du RIU). Les derniers concerts de musique capverdienne auxquels j'ai assisté étaient blindés de monde (et il y avait peu de touristes, c'était un public capverdien) ; le dernier en date, un gars de chez toi Bombedj, le cabrer d'Arsibot à João Galego, fils d'un certain Victor Hugo (on agite les bras pour saluer celles et ceux venus s'échouer ici après avoir tapé "Victor Hugo" sur Google).
3b. Et si d'aventure les capverdiens se mettaient à délaisser leur musique pour écouter exclusivement celle des autres (ça me parait archi archi archi peu probable), et alors ? Ils n'ont pas le droit, ils sont obligés de l'écouter jusqu'à la nuit des temps, juste pour le principe et parce que ça rendrait quelques étrangers un peu chagrins ? On a tous les enregistrements nécessaires aujourd'hui, ceux d'entre vous qui aiment cette musique pourront continuer de l'écouter. On se calme, c'est de la provoc.
4. Dans les années 70, Manuel d'Novas composait "Hoje tud gote pintode
é um compositor na nôs terra" (aujourd'hui n'importe quel chat peinturluré
est un compositeur ici chez nous), il y fustigeait l'introduction dans la musique capverdienne de nouveaux rythmes et de nouveaux styles importés, il craignait que la vraie morna et la vraie coladera disparaissent. Elles ont résisté, elles existent aujourd'hui encore, et les nouveaux ont été incorporés sans rien abîmer.
Même cri d'horreur quand Catchas, Norberto Tavares, Opus 7 puis Finaçon se sont emparés du funana traditionnel pour le rendre plus attractif - quitte à abandonner l'accordéon -, mon dieu le funana allait disparaître. Même chose lors de l'invasion du zouk martiniquais.
Ca va un peu, toujours le même refrain sous forme de cri de panique protectionniste, et finalement toujours le même résultat : la morna traditionnelle, la coladeira traditionnelle, le funana traditionnel, le batuque traditionnel se portent très bien, merci pour elles et pour eux. Et on a en prime des rythmes supplémentaires, il y a eu de jolies fusions, de quoi peut-on se plaindre ? Tcheka essaie tout plein de nouvelles choses, sort des sentiers battus, crée son propre style, mais c'est quand même lui et pas un chanteur connoté "plus traditionnel" qui a enregistré le méconnu talulu de Fogo.
Pour finir, et ça tombe bien je lisais ça il y a quelques jours, je vais me permettre de reprendre le maestro Dos Reis (qui a formé je ne sais pas combien de musiciens capverdiens) qui écrivait il y a plusieurs décennies dans "Subsides pour l'étude de la morna" qu'"au 19ème siècle, avec l'invasion des polkas, mazurkas, galopes, contredanses, lanceiros, danses de ronde, etc, la morna ne s'est pas laissée influencer". Et moi de rajouter : "et encore moins laissée mourir".
5. Un petit 5. Il faudrait se poser la question de savoir ce que c'est que la musique traditionnelle. J'en exclue derechef pas mal d'artistes à qui le site consacre des bio/discographies, je ne suis même pas certain qu'ils en restent beaucoup. Il y a de nombreux artistes qui font parfois appel à la musique traditionnelle, mais ils seraient plutôt à classer dans la musique de variétés.
Et maintenant vous me laissez tranquille, j'ai un
globulos sur le feu.